
Le film de Beyoncé est-il à la hauteur de nos attentes ?
PAR LOLITA MANG
Renaissance World Tour par Beyoncé : l'événement culturel de 2023
Dire que la tournée RENAISSANCE est l’évènement culturel de l’année est un euphémisme. Achevée le 1er octobre 2023, elle est devenue la tournée la plus lucrative pour une artiste, détrônant le “Sticky & Sweet Tour” de Madonna en 2009. Tandis que ce dernier avait récolté 408 millions de dollars (385,3 millions d’euros), le “Renaissance World Tour” a franchi les 461,3 millions de dollars (435 millions d’euros).
Sorti aujourd’hui dans les salles du monde entier, RENAISSANCE, le film, est à ce jour le deuxième film de tournée le plus gros de l’année. L’Américaine Taylor Swift, elle-même en pleine tournée, dévoilait en octobre dernier The Eras Tour. Les deux chanteuses ont exercée sur 2023 une hégémonie culturelle peu commune pour deux femmes issues de l’industrie musicale, dont l’une est une femme racisée. Une hégémonie d’autant plus joyeuse qu’elle est partagée par deux femmes qui se côtoient et s’influencent depuis les débuts de leurs carrières respectives, au cœur des années 2000. À ce titre, Taylor Swift s’est rendue ce jeudi à l’avant-première du film de sa consœur, qui en avait fait de même en octobre. Comme la démonstration d’une sororité aujourd’hui nécessaire dans les industries culturelles.
RENAISSANCE : quand le documentaire épouse le film-concert
La première bande-annonce du film RENAISSANCE laissait présager un documentaire similaire à HOMECOMING, qui retraçait la performance inédite de Beyoncé au festival californien Coachella, en 2019. Diffusé sur Netflix, le long-métrage de plus de 2 heures est découpé entre les répétitions et la captation des deux concerts, qui ont eu lieu en avril 2018. Selon les images révélées par la bande annonce de RENAISSANCE, on pouvait alors deviner une prise de position semblable. Beyoncé se préparant, Beyoncé embrassant son fils, Beyoncé conviant sa fille, Blue Ivy, âgée de 11 ans, sur scène. Alors que le film est enfin arrivé en salle, force est de constater que les présages étaient justes.
RENAISSANCE ne choisit pas entre la forme documentaire et la captation de concert. Il mêle les deux, dans des sursauts parfois frustrants, enlevant la tension qui pourrait s’élever dans la salle et mener à une réelle euphorie commune, à l’instar de celle provoquée par le Eras Tour de Taylor Swift, sorti en octobre dernier. L’idée n’est pas de comparer les deux popstars : toutes deux sont excellentes, et ce dans leurs registres respectifs. Dans le cas de Beyoncé, l’artiste, qui a aujourd’hui drastiquement réduit ses prises de parole médiatiques, se sert de ses films comme des moyens de communication à part entière, où il faut tout dire, tout montrer, au risque parfois de se répéter.

Parkwood Entertainment
La famille Knowles : la couture comme héritage
L’affiche du film présente une Beyoncé robotisée, telle qu’elle entrait sur scène lors du “Renaissance World Tour”. Une imagerie qui n’est pas sans rappeler le film expressionniste Metropolis (1927) du cinéaste allemand Fritz Lang. C’est tout le concept de l’ère Renaissance : une popstar déifiée, érigée au rang d’icône après ses nombreux sacrifices. Ainsi, le film permet d’aller encore plus que l’album et la tournée dans les hommages aux personnes qui entourent l’Américaine, et qui ont rendu sa carrière possible. C’est par exemple une Diana Ross, qui fait une apparition surprise sur scène à Los Angeles pour célébrer l’anniversaire de Queen B. Mais c’est aussi “l’Oncle Johnny”, aujourd’hui décédé, homme noir et homosexuel, dont la photo est affichée en grand écran à la fin du concert. “Uncle Johnny made my dress / That cheap Spandex, she looks a mess” peut-on entendre dans le morceau “HEATED”, que l’on pourrait traduire ainsi : “Oncle Johnny a fait ma robe / Dans ce tissu bon marché, elle ne ressemble à rien”. L’adresse est plus affectueuse qu’elle n’est insultante, tant Beyoncé rappelle à son public que son oncle était la seule personne capable de lui coudre des costumes de scène au début de sa carrière : “Les maisons de couture ne voulaient pas imaginer les vêtements d’un groupe féminin uniquement composé de femmes noires” déclare-t-elle depuis les coulisses de son concert. La confession n’est pas anodine au sein d’une tournée colossale où la chanteuse a fait créer ses costumes sur-mesure par les plus grands créateurs du monde, de Donatella Versace à Jean Paul Gaultier, en passant par Olivier Rousteing, mais aussi par des talents plus émergents comme Marine Serre ou Jacquemus.

Kevin Mazur

Kevin Mazur

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“The House of Renaissance” : le “safe space” ultime
Dans RENAISSANCE, l’album, Beyoncé s’auto-proclame à plusieurs reprises “Mère” de la “maison Renaissance”. Un jargon incompréhensible pour qui n’est pas familier des scènes drag et ballroom, à laquelle la chanteuse rend hommage. En tant que créatrice de l’univers RENAISSANCE, elle en est ainsi la déesse incontestée, la Mère. Le moindre danseur, technicien, chauffeur, chanteur, devient alors lié à cette dernière. Plusieurs fois, Beyoncé insiste sur l’importance pour elle de mettre en lumière les artistes dont elle emprunte les codes : la communauté LGBT, et notamment ses membres racisés qui, à la croisée des discriminations, se sont trouvés contraints de bâtir des espaces sûrs pour exister. C’est par exemple, la scène ballroom du New York des années 80, où naissent des pratiques artistiques comme les danses voguing et wacking – pour ne citer qu’elles.
Ainsi, RENAISSANCE, le film, permet de présenter plus amplement l’une des voix les plus iconiques de ballroom, Kevin JZ Prodigy, dont les expressions les plus cultes rythment l’album de Beyoncé. Dans le film, ce dernier est rappelé par la chanteuse afin de prêter une nouvelle fois sa voix à l’Américaine, ce qu’il fait avec une joie non dissimulée. Par la même, ce sont les danseurs de la tournée qui sont à leur tour mieux représentés : des personnalités comme Honey Balenciaga, Jonté Moaning ou encore Amari Marshall, créditée comme capitaine sur la tournée, se trouvent face à la caméra afin de narrer leurs parcours respectifs avant de danser pour l’une des plus grosses stars mondiales.
Une autre danseuse, et pas des moindres, est Blue Ivy Carter, la fille de Beyoncé en personne, qui s’aventurait pour la première fois sur scène lors de la date parisienne de la tournée, le 26 mai 2023. Après des débuts incertains, la pré-adolescente de 11 ans est filmée dans sa prise d’assurance, jusqu’à gagner l’affection du public sur les derniers concerts du “Renaissance World Tour”. L’occasion pour la chanteuse de montrer à ses fans quelques instants volés de son intimité, elle et ses enfants, dans le rôle de mère tendre et protectrice. On retiendra davantage la Beyoncé dans le contrôle et le perfectionnisme, dont les performances vocales et scéniques semblent être à leur firmament.
Filmé sur la totalité des concerts de la tournée, RENAISSANCE s’imagine comme une captation de concerts nourris de témoignages intimes et de prises de vue inédites en coulisses, afin de faire comprendre au public comment des concerts d’une telle envergure peuvent naître. Quatre ans de préparation selon Beyoncé, trois scènes différentes, dont l’une est d’ores et déjà en train de voyager vers le prochain stade pour la semaine suivante, quelques 120 camions pour tout déplacer… Les chiffres font tourner la tête, mais le résultat en vaut la peine. C’est à se demander si “Renaissance World Tour” n’est pas à ce jour la tournée la plus ambitieuse et riche menée par une popstar.
Pour conclure, RENAISSANCE, le film, ne cherche pas à rendre l’émotion et la joie ressentie lors des concerts (où alors, il s’y prend mal). Il est plutôt à envisager comme une nouvelle pierre à l’édifice de la narration de Beyoncé, qui continue de se raconter en images. Alors que des vidéos de ses enfants défilent sur l’écran géant, elle déclare à la caméra : “Après cette tournée, j’espère retrouver un peu de stabilité et de temps avec ma famille”. On le lui souhaite.